Voici un texte écrit à plusieurs mains dans lequel nous employons de grands concepts à majuscule comme Capitalisme et Patriarcat. Sans doute nos mots manquent-ils un peu d’humilité et de mesure, mais nous souhaitions avoir un peu d’ambition et nous laisser porter par des horizons désirables.
Mais qui donc prend la parole ?
Nous, c’est ComméRages, un collectif écoféministe, anarchiste & antispéciste en mixité choisie de genre, en lutte contre le capitalisme, le patrarcat et le spécisme qui ravagent tout autour de nous. Ces systèmes d’oppression de classe, de race, de genre & d’espèce s’entretiennent et se renforcent. Nous avons choisi de les affronter de concert. Nous habitons pour l’instant l’Île-de-France, où nous nous organisons. Il est possible de nous croiser au cours de manifs féministes, de projections dans des lieux collectifs à Montreuil et en banlieues, dans des espaces d’action, dans le campement de Zaclay ou dans les jardins d’Aubervilliers : ces terres en lutte contre le Grand Paris et les Jeux Olympiques.
ComméRages est de taille plutôt réduite car nous préférons prendre soin des liens qui nous unissent personnellement. Nous voulons puiser de la force et de la confiance dans le groupe pour rejoindre des terrains de lutte : ZAD, piquets de grèves, occupations. Agir ensemble nous permet d’être plus fort.e.s dans une société qui voudrait qu’on s’en sorte – ou qu’on se casse la gueule – seul.e dans son coin.
La mixité choisie est un outil de lutte que nous avons choisi afin de ne pas être constamment confronté.es au sexisme, et pour soigner des dommages subis au sein de collectifs mixtes. Pour autant, nous avons conscience que cet outil n’est pas parfait et n’empêche pas que se produisent des dynamiques oppressantes ou excluantes. Alors on bricole, on essaye, on bidouille pour qu’il n’y ait pas au sein de ComméRages de pratiques classistes qui écarteraient celles.eux ne possédant pas certains capitaux économiques ou intellectuels ; pour visibiliser et supprimer les rapports d’oppression au sein de la mixité choisie ( envers les minorités de genre, les personnes racisées, handi.e.s, neuro-atypiques) ; et pour ne pas valoriser une conception essentialiste du féminin légitimant la transphobie ou le terfisme (ce “féminisme” qui veut l’exclusion des femmes trans’, que nous avons envie de/voulons combattre).
De sacrées commères
Loin d’être le terme péjoratif d’aujourd’hui, les « commères » étaient à l’origine la version féminine des compères : des amies qui se saisissaient collectivement de problèmes affectant l’une ou plusieurs d’entre elles. C’est en leur mémoire que nous avons choisi de nous nommer ComméRages, tout en soulignant que nous n’avons peur ni d’élever la voix ni de nous opposer rageusement à nos ennemis.
Vous avez dit écoféministe ?
Nous désirons nous ré-approprier (“reclaim”) l’écoféminisme trop souvent réduit à une lubie de blanches, à un courant universitaire, à une pratique de hippie apolitique ou essentialiste. Pour nous, l’écoféminisme est avant tout une pratique de lutte, à inventer ou à retrouver, qui nous vient d’un héritage révolutionnaire. L’écoféminisme résonne avec les luttes antinucléaires de Bretagne et d’ailleurs, avec les grèves de femmes qui s’opposent à l’invisibilisation de leur travail domestique, avec les combats des femmes contre la (néo)colonisation de leurs territoires, et, dans un passé plus lointain, avec les résistances des femmes dès le Moyen Âge contre l’appropriation des communaux, à l’origine de l’expansion du capitalisme.
Dès lors, par écoféminisme, nous entendons avant tout un ensemble de pratiques libertaires et anticapitalistes s’opposant à l’appropriation conjointe de la terre et des corps et aux rapports de pouvoir qui corrompent les milieux vivants. C’est une culture politique qui met au centre la question de la communauté, de nos modes de subsistance et de nos dépendances.
Un peu sorcière et un peu mamie à chat, c’est ça ?
Nous portons un discours antispéciste libertaire et sensible parce que l’exploitation des animaux nous révolte. Nous ne concevons pas notre liberté dans un monde où les animaux continueraient d’être vendus, tués, mangés, inséminés et enfermés. Penser ensemble l’écoféminisme et les causes animales, c’est reconnaître qu’il y a une continuité entre la violence qui s’exerce sur les milieux, sur les animaux et sur les humain.es exploité.es. Le système spéciste produit aussi un grand nombre de souffrances humaines dans le monde : de l’appropriation de terres pour l’élevage à la pollution des cours d’eau, en passant par l’exploitation des travailleurs d’abattage.
Nous pensons qu’il faut encourager les alliances entre des mouvements véganes politiques et des mouvements sociaux en raison de leurs intérêts communs. Renverser le capitalisme implique de détruire les infrastructures spécistes et la culture de l’exploitation animale qui le soutiennent et le renforcent.
Mais en fin de compte, qu’est-ce que vous voulez ?
Nous ne pensons pas qu’il existe un lien naturel entre « la femme » et « la nature ». C’est bien ce rapprochement qui a permis l’exploitation des corps sexisés, racisés, et animalisés. Alors, ce que nous voulons c’est ré-apprendre à habiter la nature sans l’approprier, à combattre ceux qui l’accaparent, à détruire la domination spéciste. Ce que nous voulons c’est trouver des pratiques d’émancipations vivifiantes et ancrées sur des territoires particuliers.
En ce sens, nous désirons participer à créer des bases antispécistes sur le territoire, vouées à s’élargir progressivement, pour faire émerger des pratiques antispécistes non-marchandes et qui prennent soin du territoire. La société spéciste ne s’effondrera pas d’elle-même, il nous faut œuvrer à sa disparition, pour que vivent des communes vraiment libres, y compris pour les non-humain.es.
Ensemble, nous souhaitons nommer précisément les systèmes de domination qui nous bouffent pour mieux pouvoir s’en prémunir et les détruire. Que cette liberté conquise permette de remplir l’espace de corps d’ordinaire marginalisés, de créer des moments de joie, de nouer des solidarités avec d’autres groupes, de discuter sans élitisme, de diffuser des pratiques conviviales dans les espaces de lutte, d’offrir des espaces de refuge à celles.eux qui en ont besoin, de parler des communs, d’autonomie, d’émancipation, et, plus globalement, de lutter contre l’abattement et l’impuissance.
Enfin, tant que ça ne devient pas un dogme ou une justification pour perpétuer d’autres oppressions, nous n’avons pas d’hostilité envers ce qui peut briser la rationalité hégémonique des capitalistes. Ne nous privons pas de réenchanter notre monde. Que cela prenne la forme de danses sous la pluie, de cueillette de plantes à la pleine lune, de rituels porteurs de sens, qu’importe pourvu que cela vivifie la joie en nous et autour de nous. Certaines appellent ça de la magie ou du sacré, d’autres, un désir éperdu de liberté et d’amour.
Sororalement,
ComméRages