Podcast Avis de Tempête. Episode 13 : Contre l’atome, écoféminismes et antinucléaire.

On a participé à l’épisode 13 du podcast Avis de Tempête des copaines de désobéissance écolo paris : Contre l’atome. Écoféminismes et antinucléaire ☢️✊️

Dans cet épisode on discute des liens entre féminismes, luttes antinucléaires et particulièrement de l’écoféminisme et de ses perspectives en matière de lutte pour l’autonomie. C’est le moment de (re)découvrir la lutte qui a débuté en Angleterre dans les années 80 contre l’installation de missiles nucléaires dans la ville de Greenham Common, ses formes, virulentes, festives et très inspirantes que l’on retrouve aujourd’hui à Bure dans la Meuse contre le projet d’enfouissement des déchets nucléaires. On y discute avec Claire du collectif féministe des Bombes Atomiques des liens entre écoféminismes et luttes anti nucléaires ☣️

Le podcast est disponible sur toutes les plateformes d’écoute : https://linktr.ee/avisdetempete

[Le mot “femme” est employé pour qualifier les personnes militant dans des luttes écoféministes à travers l’histoire car celles-ci s’identifiaient à celui-ci dans leurs discours. D’autres identités de genre non-conformes à la norme cisgenre composaient sûrement aussi les mouvements écoféministes.
Essentialisme : courant féministe qui prône une essence biologique “naturelle” de la femme, et donc une différence par essence entre les hommes et les femmes, percevant souvent le genre sous une vision binaire]

Ciné-Débat. Lutte antinucléaire de Greenham Common

On a carrément fait un petit film documentaire sur la lutte de Greenham Common. Quelques éléments de réflexions…

Le Camp de femmes pour la paix à Greenham Common est un campement de protestation pacifiste contre l’installation de missiles nucléaires sur la base Royal Air Force de Greenham Common, dans le Berkshire. Le camp de femmes pour la paix a démarré en septembre 1981 et a duré dix-neuf ans, jusqu’à son démantèlement définitif en 2000.
Tout commence par 36 femmes qui entament une marche depuis Cardiff jusque Greenham pour manifester suite à la décision de l’OTAN d’autoriser le stockage de missiles dans des bases militaires. Certaines d’entre elles s’enchainent aux barrières de la base Royal Air Force, première base désignée par l’OTAN pour accueillir plus d’une centaine de missiles.
« À leur arrivée à la base militaire, certaines des manifestantes s’enchaînent à la clôture. Les manifestantes de Greenham, (…), réclament un débat public télévisé avec le ministère de la Défense […]. Leur demande ayant été rejetée, elles refusent de partir. Un camp voit rapidement le jour à mesure qu’affluent sympathisant.e.s et provisions » Rapidement il est décidé que le camp sera non-mixte. Lorsque des hommes sont invités au camp dans le cadre d’actions et d’événements, il leur est spécifiquement demandé de participer aux crèches pour les enfants, à la cuisine et à d’autres formes d’assistance traditionnellement dévolues aux femmes.

Les campeuses de Greenham Common, quant à elles, situent d’emblée leur mouvement dans une dimension internationale, en établissant des contacts et en multipliant les échanges avec d’autres protestations féministes antinucléaires et antimilitaristes dans le monde : Pine Gap en Australie, base OTAN de Comiso en Sicile, rescapés des bombardements d’Hiroshima et Nagasaki au Japon, association Women for a Nuclear Free and Independant Pacific, Femmes pour un Pacifique libre, indépendant et dénucléarisé.

Bien que les missiles nucléaires aient quitté la base en 1991, conformément au Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire signé à Washington par Mikhaïl Gorbatchev et Ronald Reagan en décembre 1987, le camp reste actif jusqu’en 2000. La base ferme en 97 pour devenir un parc, les manifestantes restent jusqu’en 2000 pour s’assurer de la restitution du lieu. “elles ne lâcheront pas les terres, disent-elles, tant que celles-ci ne seront pas réaffectées à un usage solidaire.”
pendant les années 90, elles insistent pour que les terres de greenham confisquées par l’État en 1951, repassent sous l’ancienne loi des biens communs. c’est le cas: les terres sont rendues à la population de newbury, elles ont réussi à déprendre ces terres de la machine de guerre.

Lorsque le nombre de femmes vivant à Greenham ou y transitant atteint un certain seuil, la base est divisée en plusieurs camps installés devant les points d’accès à la base militaire. Chaque camp, nommé d’après une couleur de l’arc-en-ciel, a sa propre personnalité. Le bleu attire plutôt des jeunes punks, tandis que le vert, niché au cœur des bois, héberge les femmes aux pratiques plus spirituelles. Le camp principal, le jaune, accueille celles qui se plaisent à souhaiter la bienvenue aux nouvelles participantes et se chargent des relations avec les médias. Les hommes et les « manifestants du dimanche », curieux de voir à quoi tout cela rime, y sont autorisés. Les femmes qui vivent dans ce camp, et celles qui composent les réseaux de soutien chargés de la logistique, s’efforcent d’atténuer les dissensions entre les organisatrices et les participantes. Les tâches opérationnelles comme la cuisine, le nettoyage ou le creusement de «fosses-latrines» sont exécutées par des bénévoles.

Vivre dans un camp de protestation implique aussi de vivre quasi constamment en présence des forces de sécurité. Des soldats maintiennent l’ordre depuis la base, la police locale intervient sur le site et des huissiers de justice se rendent régulièrement sur place pour ordonner des expulsions du camp. C’est parfois le cas, de nombreuses fois par jour, au cours des hivers 1984 et 1985, notamment quand la météo est mauvaise. Des écrits, des provisions et du matériel sont parfois confisqués ou perdus à cause du désordre. Étant donné que les expulsions deviennent monnaie courante, les femmes se préparent en conséquence. Elles conçoivent des meubles mobiles qu’elles peuvent rapidement déplacer, en sciant les roues de caddies pour les fixer sur les meubles et en faire des cuisines et des postes médias mobiles.

Diversité des modes d’actions :
– Elles enveloppent la clôture de laine de couleur vive, découpent des bouts de fil de fer pour fabriquer des grilles de cuisson, démontent plus de 5km de clôture en étant déguisées en sorcières lors d’une action organisée à Halloween, en 1983. Ces actions concrètes visent la propriété, l’exploitation des ressources, et partent du principe que certains types de dégâts à la propriété relèvent du domaine de la non-violence.
– le 12 décembre 1982: “prendre la base dans leurs bras” / “embrace the base” : 30 000 femmes
– C’est à la veille du Nouvel An 1982 qu’elles font irruption sur la base RAF pour la première fois : quarante-quatre d’entre elles escaladent les clôtures et se mettent à danser pendant des heures autour et au-dessus des silos contenant les missiles nucléaires.
-Le 1er avril 1983, le camp devient célèbre dans le monde entier lors de la formation d’une chaine humaine de dizaines de milliers de personnes qui relie sur plus de 20km Greenham à l’usine d’armements nucléaires d’Aldermaston.
– Le 1er avril 1983, deux cents campeuses s’offrent un pique-nique sur la base déguisées en nounours. Comme le note la traductrice de Cynthia Cockburn, « Ce pique-nique d’ourses en peluche est une référence directe à une comptine très connue en Grande-Bretagne ». Mais surtout, par ce déguisement infantile qui contraste radicalement avec l’environnement hautement sécurisé d’une base militaire aéronautique nucléaire, les femmes rappellent l’impérative nécessité de sécuriser en fait l’avenir de leurs enfants et des générations à venir.
– elles organisent un événement majeur intitulé “Reflexions sur la base” le 11 décembre 1983, au cours duquel 50 000 femmes protestent contre les missiles Cruise arrivés à Greenham Common trois semaines auparavant. Leur protestation consiste juste à brandir en silence des miroirs symbolisant l’indispensable retour sur soi qui oblige chacun à réfléchir sur ses actes, à les penser. La journée se termine avec des centaines d’arrestations, tandis que de nombreuses femmes sectionnent les grillages et pénètrent à nouveau sur la base
– En janvier 1987, après la déclaration au Parlement britannique selon laquelle « il n’y a plus une seule femme à Greenham, aucun grillage n’a été coupé, donc il n’y a pas de frais de réparation », de petits groupes d’entre elles découpent les grillages de la base chaque nuit pendant une semaine
– Lorsque des hommes sont invités au camp dans le cadre d’actions et d’événements, il leur est spécifiquement demandé de participer aux crèches pour les enfants, à la cuisine et à d’autres formes d’assistance traditionnellement dévolues aux femmes.

Perception du camp à l’époque :
– Lorsqu’elles s’enchaînent à la base au tout début, un parlementaire se dira “profondément choqué de voir une telle campagne politique, un tel sujet sérieux, c’est à dire le nucléaire militaire et civil, traité par des gens qui passent leur temps avec des enfants et qui ne trouvent rien de mieux à faire, sur place, que de chanter des comptines détournées”
– Les rapports ne furent pas simples avec la puissante organisation CND (Campaign for Nuclear Disarmament),
« De quel droit cette bande de femmes empêchaient-elles les organisations mixtes plus grandes et plus expérimentées de mener la résistance sur ce bout de terre britannique que le gouvernement avait livré à Ronald Reagan ? […] Le fait que les médias aient traité les campeuses avec un mélange de paternalisme, de mépris et d’hostilité n’aidait pas la CND à les considérer favorablement. D’après une recherche commandée par la CND mais jamais publiée : « A cause des femmes de Greenham, une cause potentiellement populaire se trouve noyée sous des vagues de critiques qui s’adressent directement aux campeuses. Elles discréditent ainsi une cause qu’elles ont pourtant promis de défendre24. » La CND nationale en était presque arrivée à la scission sur la question de Greenham, mais le campement pacifiste pouvait compter sur de solides soutiens dans de nombreuses branches locales de la CND, où les femmes étaient majoritaires. »
– Au cours des années fastes du camp de protestation, des reporters envahissent Greenham et produisent des histoires sensationnalistes sur la vie du camp et de ses habitant.e.s. Le camp est souvent décrit comme sale, insalubre, désordonné, voire invivable. Généralement, les manifestantes sont présentées comme des mères altruistes se battant pour la paix ou, le plus souvent (notamment dans les tabloïds), comme des lesbiennes phallocrates au comportement agressif, qui étalent leur sexualité et vivent aux frais de l’État. L’aspect non conventionnel de la vie dans un camp de protestation (et notamment dans un camp exclusivement féminin avec une importante population lesbienne) fait émerger des stéréotypes et des idées normatives sur le foyer, la féminité et l’hétérosexualité. La peur et l’angoisse, réponses classiques au séparatisme, mais qui prennent cette fois-ci au Royaume-Uni une ampleur inédite, naissent de la confrontation à ces récits et à ces images de femmes organisées politiquement et vivant à l’écart des hommes.

– le camp de Greenham fait naître l’idée que les débats sur le nucléaire doivent avoir lieu sur le lieu même des armes : les journalistes doivent se déplacer sur la base pour faire le récit de cette lutte.

– “La presse présente l’action des femmes de greenham et d’ailleurs comme “naïve” sincère ou émotionnel cherchant à la dénigrer en utilisant des qualificatifs juger féminin ou du côté de la faiblesse. Ce que la presse élude dans ces récits c’est que ce type de réponse n’est pas la solution de facilité que l’on croit. Il est plus aisé de considérer les missile de croisière avec le langage abstrait du débat politiques où la mort est envisagée de façon schématique et factuelle, que de penser la mort d’une personne, atteintes par les radiations. Pour parvenir à proposer une réponse émotionnelle au fait que notre planète pourrait être détruite par les armes nucléaires, chacune doit lutter pour écarter une à une les strates d’apathie et de paralyser qui entoure cette question. ” (Des femmes contre des missiles. Rêves, idées et actions à Greenham Common – Alice Cook & Gwyn Kirk)

– “des féministes hystériques”, “des lesbiennes baraquées” (The Sun, 14/12/1982)
– “des femmes hommasses…une clique repoussante” (The spectator, 1/1/1983)
– “les harpies de greenham common” (The spectator 8/1/1983)
– “des Amazones clochardes et vagabondes” (Newbury Weekly News, fev 82)